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Portrait de l’éco-anxiété, ce mal qui ronge (aussi) les jeunes

Recherche Article publié le 09 juin 2023 , mis à jour le 09 juin 2023

Cet article est issu de L'Édition n°21.

 

Si elle n’est pas considérée comme une maladie, l’éco-anxiété éprouvée en raison de l’inaction climatique peut être à l’origine de nombreux troubles. Peu étudiée chez les enfants et les adolescentes et adolescents, celle-ci ne nécessite pas un traitement thérapeutique, mais bien une réponse sociale de grande ampleur.

L’éco-anxiété, contraction d’écologie (étude des êtres vivants et de leurs interactions, entre eux et avec leur environnement) et d’anxiété (trouble psychique causé par la crainte d’un danger), définit un ensemble d’émotions lié à la perspective d’une perte environnementale, notamment en raison du changement climatique causé par les activités humaines. Ces mots sont ceux de l’American psychological association (APA), la société savante américaine de psychologues, qui ne définit pas l’éco-anxiété comme une maladie. Par ailleurs, ce trouble n’est pas directement lié au changement climatique, comme l’explique Laelia Benoit, chercheuse au laboratoire Psychiatrie du développement et trajectoires du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, Inserm) : « L’éco-anxiété est suscitée par l’inaction climatique plutôt que par le changement climatique en lui-même. » 

Si ce trouble n’est pas spécifique aux plus jeunes, il a très rarement été au centre d’études portant sur un public enfant et adolescent. « On utilise beaucoup le terme de solastalgie comme synonyme de l’éco-anxiété alors que, de par sa racine, ce mot n’est pas inclusif des enfants, confie Laelia Benoit. La solastalgie définit un sentiment de nostalgie d’un environnement qu’on a connu et qui a été modifié au cours du temps. C’est typiquement le fait de se souvenir des hivers enneigés alors qu’aujourd’hui, il ne neige plus là où on habite. Je trouve que ce concept ne s’applique pas aux enfants puisqu’eux n’ont pas le recul leur permettant de rendre compte de l’évolution des hivers, tout en étant au courant du changement climatique. L’éco-anxiété est, à mon sens, un terme plus adapté. » 

Pédopsychiatre de formation, Laelia Benoit s’intéresse au départ à un autre trouble : la phobie scolaire. Au cours de ses consultations, de nombreux enfants, adolescentes et adolescents lui font part de leurs inquiétudes vis-à-vis de l’inaction climatique, sans que ça ne soit pour autant la raison principale de leur venue. « L’éco-anxiété aggravait d’une certaine façon leur difficulté avec l’école et leur sentiment d’inadéquation. Finalement, ces patientes et patients consultaient pour des raisons différentes (dépression, harcèlement, etc.) et des troubles psychiatriques, auxquels s’ajoutait l’éco-anxiété. C’est la raison qui m’a poussée à entreprendre des recherches sur cette thématique », détaille la chercheuse. 

 

Approfondir les recherches sur l’éco-anxiété chez les jeunes

L’éco-anxiété n’est pas une thématique nouvelle et de nombreuses publications confirment déjà les différents impacts du changement climatique sur la santé mentale… des adultes. La Climate change anxiety scale, une échelle d’anxiété face aux changements climatiques, élaborée sous la forme d’un questionnaire par Susan Clayton et Bryan Karazsia du College of Wooster (USA) en 2020 fait aujourd’hui office de référence pour mesurer le degré d’éco-anxiété. Mais celle-ci n’est pas appropriée aux plus jeunes, comme l’avance Laelia Benoit : « Les questions de l’échelle ne sont pas valables pour les adolescentes et adolescents. Par exemple, on peut y lire “Je suis tellement préoccupé(e) par le changement climatique que cela me perturbe au travail ou dans mes responsabilités vis-à-vis de ma famille”. Les jeunes n’ont pas de travail et ne doivent pas prendre soin de leur famille, donc ils ne peuvent pas répondre à ce genre de question. » Une autre interrogation de la chercheuse : la différence entre les spectres d’émotions relevés chez les adultes et chez les plus jeunes. « Chez les adultes, les émotions prédominantes sont la culpabilité, la tristesse, la honte et l’impression d’être responsables sans ne savoir quoi faire. Chez les plus jeunes, la colère et l’injustice prévalent. » 

Afin d’approfondir les premières observations établies durant ses consultations, Laelia Benoit mène plusieurs études qualitatives auprès de jeunes issus de pays différents. Les résultats d’une enquête regroupant plus de 100 enfants de France, des États-Unis et du Brésil ne montrent pas l’apparition d’une « épidémie grave d’éco-anxiété », sans pour autant rassurer la chercheuse : « Au cours de l’étude, aucun enfant ne nous a indiqué que son éco-anxiété l’empêchait de vivre. C’est une préoccupation, certes, mais les enfants réussissent globalement à ne pas se laisser submerger. Dans un premier temps, ce sont des retours plutôt rassurants, mais pas totalement non plus : on sait que des modèles “ stress-vulnérabilité ” sont propices à de nombreuses maladies liées au stress, comme les maladies cardiovasculaires. Autrement dit, un stress existant, même infime, et étalé sur une trentaine d’années, augmente les risques d’apparition de certains problèmes de santé. Finalement, on se pose de nombreuses questions vis-à-vis de l’évolution de ces jeunes présentant un stress modéré et permanent. »

« L’éco-anxiété n’est pas une maladie et il n’existe aucun traitement. C’est une problématique sociale à laquelle il faut apporter une réponse sociale. Il faut alerter et changer la société indifférente et passive face au grave sujet qu’est le changement climatique », conclut la chercheuse.

 

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