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Ester Mariucci : exploratrice de l’élégance mathématique

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 09 janvier 2024 , mis à jour le 16 janvier 2024

Ester Mariucci est mathématicienne, professeure au Département de mathématiques de l’Université de Versailles Saint-Quentin (UVSQ) depuis septembre 2020. Sensible à la dimension théorique des mathématiques, elle positionne ses recherches à la frontière entre les probabilités appliquées et la statistique mathématique. Elle est également responsable du master Mathématiques et apprentissage statistique (Math&AS) rattaché à la mention Mathématiques et applications de l’Université Paris-Saclay.

Lorsqu’elle obtient son baccalauréat en Italie, Ester Mariucci est une élève complète s’intéressant tout autant aux sciences qu’à la littérature, l’histoire ou la philosophie. Si elle choisit de s’orienter vers des études scientifiques, c’est comme elle l’explique aujourd’hui pour « tout avoir ». « Je pensais alors naïvement qu’il me serait plus facile de cultiver seule mon goût pour les humanités que celui pour les sciences… Quant au choix des mathématiques par rapport aux autres disciplines scientifiques, c’était une évidence pour moi, tant j’y trouvais une satisfaction immédiate », se souvient Ester Mariucci. Une satisfaction qui se trouve brusquement mise à mal lorsqu’elle débute ses études à l’Université de Pise. « Je me suis alors retrouvée plongée dans un monde très compétitif, dans lequel les mathématiques me semblaient dures et où je n’avais plus de plaisir, seulement de la frustration », se souvient-elle. Heureusement, elle peut à cette époque compter sur le soutien de certains professeurs exigeants et passionnés grâce auxquels elle retrouve l’envie de faire des mathématiques et qui continuent de l’inspirer aujourd’hui, alors qu’elle enseigne à son tour.

Entre Pise et Grenoble : de la probabilité appliquée aux statistiques théoriques

Après cinq années à l’Université de Pise, elle décide en 2010 de suivre son fiancé en France et poursuit ses études à Grenoble, en master, où elle s’épanouit pleinement. « Les professeurs étaient profondément bienveillants, ce qui m’a aidée à m’intégrer très facilement. Par ailleurs, moi qui venais d’une formation très probabiliste, j’ai découvert à Grenoble l’univers passionnant des statistiques théoriques. » Elle se consacre ensuite à une thèse sur la théorie de Le Cam appliquée à des processus stochastiques. « On pouvait difficilement faire plus théorique. C’était vraiment de l’élégance, mais cela m’a permis, à l’issue de ma thèse en 2015, de partir à Berlin travailler dans l’équipe de Markus Reiss, le grand spécialiste de la statistique des processus stochastiques. »

Entre Berlin et Leiden : à la découverte des statistiques bayésiennes

Alors que son fiancé l’a rejointe à Berlin et qu’elle décroche une bourse de la Fondation Alexander von Humboldt pour poursuivre ses recherches en Allemagne, elle se voit proposer par le professeur Aad van der Vaart, expert mondial des statistiques bayésiennes non paramétriques, de réaliser son stage postdoctoral au sein de l’Institut de mathématique de l’Université de Leiden. « Impossible de refuser une telle proposition ! Heureusement j’ai pu négocier le report de ma bourse. Je suis donc partie à Leiden où je me suis formée, avec les meilleurs chercheurs et chercheuses du domaine, aux statistiques bayésiennes qui occupent toujours une place importante dans mes recherches actuelles. » Son stage postdoctoral achevé, elle revient à Berlin et intègre le groupe de recherche de Markus Reiss. « J’ai alors eu la chance, une nouvelle fois, de travailler auprès d’une équipe d’excellence tout en bénéficiant d’une très grande indépendance grâce à ma bourse de la Fondation. » Le jeune chercheuse, dispensée d’enseignement, en profite pour multiplier les séjours à l’étranger et commence à s’interroger sur le pays où poursuivre sa carrière.

Entre Magdebourg et Potsdam : les premiers pas de professeure

Sur les conseils de Markus Reiss qui souhaite la voir demeurer en Allemagne, elle postule, sans trop y croire, à l’Université de Magdebourg où, contre toute attente, elle est acceptée. « Or il se trouve que l’on m’a proposé peu après un poste de vertretung professorin – l’équivalent d’un poste de professeur hors classe en France – au sein de l’Université de Potsdam », explique Ester Mariucci. Une nouvelle fois la chance sourit à la jeune chercheuse puisque l’Université de Magdebourg lui accorde un an pour partir à Potsdam. « J’ai ainsi expérimenté de manière globale le métier de professeur. J’avais bien sûr auparavant déjà donné des cours en thèse et à Berlin, mais là, la responsabilité a été tout autre. J’ai en effet dû enseigner les processus stochastiques, les statistiques non paramétriques, l’assimilation des données, participer à un master de data science, etc. Soit l’équivalent des 200 heures d’enseignement en France. J’ai trouvé cela passionnant. » L’année à Potsdam achevée, elle revient à Mabdebourg. Alors qu’elle attend son premier enfant et que la crise sanitaire interdit tout déplacement, elle apprend qu’un poste de professeur va être ouvert à l’UVSQ. Elle postule à distance, décroche le poste et rejoint Versailles juste après la naissance de son bébé.

Arrivée à Versailles : création du master de data science

Débute pour Ester Mariucci une période très dense, notamment en termes d’enseignement. En parallèle de ses travaux de recherche au sein du Laboratoire de mathématiques de Versailles (LMV – Univ. Paris-Saclay, CNRS, UVSQ) et de ses enseignements en licence, elle donne également des cours au sein du master Mathématiques et informatique appliquées aux sciences humaines et sociales (MIASHS). « Moi qui avais l’habitude d’enseignements très théoriques, je me suis retrouvée à faire des cours très appliqués d’assurances, de traitement des données, etc. et à travailler énormément pour offrir le meilleur à mes élèves », se souvient-elle. Une démarche qu’elle poursuit en s’investissant dans le lancement en 2021 au sein de l’Université Paris-Saclay d’un nouveau master en data science – le master Mathématiques et apprentissage statistique – dont elle est aujourd’hui responsable du M2 et au sein duquel elle enseigne les statistiques non paramétriques, les statistiques bayésiennes, les processus stochastiques, l’inférence statistique, etc. « Ce master ayant pour particularité d’être un master recherche ouvert à l’entreprise, mon principal défi est de permettre à mes étudiantes et étudiants de disposer d’un bagage théorique suffisamment solide pour poursuivre leur parcours en thèse si elles ou ils le souhaitaient, mais aussi d’outils méthodologiques utiles dans le monde de l’entreprise », précise Ester Mariucci.

Mettre les outils mathématiques au service de la climatologie

Côté recherche, si Ester Mariucci continue de s’intéresser aux statistiques bayésiennes, en participant notamment à un projet de recherche porté par un collègue de Sorbonne Université et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), elle déclare également vouloir donner une nouvelle orientation à ses travaux. « Jusqu’à présent, je me suis beaucoup focalisée sur tout ce qui concerne la quantification de l’incertitude, la réduction de la complexité dans le sens statistique du terme, dans le but de trouver des modèles plus simples mais contenant la même quantité d’information statistique. Aujourd’hui, en utilisant les mêmes objets, à savoir la statistique mathématique et les processus stochastiques, je souhaiterais aborder des problèmes en climatologie et en écologie, notamment contribuer à une meilleure compréhension de la manière dont l’information statistique dépend et varie en fonction de la nature des observations, à la fois dans l’espace et dans le temps. » Un nouvel objectif qui la pousse à nouer de nouvelles collaborations et qui lui donnera, à n’en pas douter, la possibilité d’ajouter un nouveau chapitre à sa carrière de recherche, jeune mais pourtant déjà tellement riche.

Ester Mariucci (c)Christophe Peus