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Origines de la vie : enquête sur les exoplanètes

Recherche Article publié le 20 septembre 2022 , mis à jour le 20 septembre 2022

Afin de résoudre l’énigme de la création de la vie, faut-il scruter les profondeurs de l'espace ou sonder le cœur des molécules ? « Les deux ! », répondent les membres de l'équipe de Nathalie Carrasco, du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (LATMOS - Univ. Paris-Saclay, UVSQ, CNRS, Sorbonne Univ.). En s'inspirant d'observations télescopiques de planètes qui ressemblent à la Terre primitive, ces chimistes reconstituent en laboratoire les conditions propices à l'apparition de la vie. Et tentent de fournir des réponses sur la genèse des êtres vivants.

La vie sur Terre apparaît il y a un peu plus de 3,5 milliards d'années, sous la forme de microorganismes aquatiques. Quelle série d’événements aboutit à cette première étincelle de vie ? Pour y répondre, la chercheuse Nathalie Carrasco simule expérimentalement au LATMOS l'atmosphère primitive de la Terre, celle qui existait avant qu'un être vivant n'y prenne son premier souffle. « Nous voulons comprendre dans quelle mesure la chimie atmosphérique a contribué à l'émergence de la vie, explique-t-elle. Nous pensons que des interactions entre le rayonnement solaire et l'atmosphère primitive ont généré des molécules organiques complexes, qui ont ensuite réagi chimiquement et entraîné l'apparition de la vie dans les océans. »

 

Trouver un modèle d’étude satisfaisant

Puisque l'atmosphère de la Terre a énormément changé en quelques milliards d'années, il est difficile d'imaginer sa composition initiale. La chercheuse et son équipe se tournent vers l'immensité de l'espace afin d’y trouver des analogues de ce qu'a été la Terre primitive : « Nous avons d'abord étudié Titan, un satellite naturel de Saturne, qui est un cas intéressant mais très extrême. Son atmosphère est presque uniquement composée d'azote et de méthane. » Titan reste donc une copie imparfaite de la Terre, car il est également situé trop loin du Soleil pour que l'eau y soit liquide. « Les avancées des techniques d'observations nous permettent désormais de choisir un modèle d'étude plus réaliste : les exoterres », révèle Nathalie Carrasco.

Ces exoplanètes rocheuses, situées en dehors du système solaire, gravitent pour certaines dans la zone habitable de leur étoile, à une distance idéale pour que l'eau puisse y exister sous forme liquide. Une dizaine d'exoterres en zone habitable a été découverte jusqu'à présent, mais peu de données ont été collectées à leur sujet. Leur atmosphère abrite-elle de l'oxygène, du méthane, des composés organiques ? Le mystère qui les entoure est sur le point d'être résolu grâce aux observations du télescope spatial James Webb (JWST), lancé en décembre 2021 à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Plus puissant que tous les télescopes spatiaux précédents, ce télescope à infrarouge recueille depuis juillet 2022 des observations sur plusieurs exoplanètes.

 

Le regard tourné vers le laboratoire

Mais une meilleure compréhension de l’Univers et de sa création ne repose pas uniquement sur des observations télescopiques. Les astronomes sont aidés en cela par les chimistes, comme ceux de l’équipe de Nathalie Carrasco, qui reproduisent en laboratoire les compositions atmosphériques des différentes exoplanètes étudiées. Ces chimistes miment également les ondes électromagnétiques émises par les étoiles autour desquelles gravitent les exoplanètes, notamment le rayonnement ultraviolet extrême. Ces ondes sont en effet responsables d’une grande partie des réactions chimiques qui se produisent dans l'atmosphère des exoplanètes. Or, la couche d'ozone qui entoure aujourd’hui la planète Terre absorbe le rayonnement du Soleil et protège notablement son atmosphère des réactions chimiques induites. Pour leurs études, les chimistes doivent donc générer un tel rayonnement grâce à une source d'énergie très puissante. « En bombardant des mélanges de gaz avec des électrons ou des photons VUV (Vacuum UV), nous recréons les conditions chimiques de l’atmosphère d'une exoterre. Nous observons alors la formation de particules solides dans notre réacteur expérimental », explique Ludovic Vettier, ingénieur de recherche au LATMOS.

 

Les aérosols brouillent les observations

Ces particules solides sont des aérosols organiques. Forte de sa connaissance des satellites de Saturne, Nathalie Carrasco précise leur nature : « Titan est recouvert d'un brouillard permanent constitué de ce type d'aérosols. Il s’agit de nanoparticules solides issues de l'interaction entre le rayonnement solaire, l'azote et le méthane. Il est épais de plus de mille kilomètres d'altitude et masque la surface du satellite. » Il est probable qu'un brouillard similaire enveloppait la Terre primitive avant l'apparition de la couche d'ozone et recouvre encore aujourd'hui les exoterres prochainement analysées par le JWST.

Dès lors, peut-être l'explication de l'origine de la vie se trouve-t-elle dans ces aérosols ? Mais avant de constituer une éventuelle partie de la solution, ces aérosols sont pour le moment une source de problèmes : leur présence complique l'analyse spectroscopique des données fournies par les télescopes existants, qui renseignent les scientifiques sur la composition, la température et la masse des corps célestes, ainsi que sur la présence de dioxyde de carbone, de vapeur d'eau ou encore de méthane dans l’atmosphère des exoplanètes étudiées. Le travail de Nathalie Carrasco et de son équipe n’en devient que plus déterminant. Si, lors de l’observation par le JWST, seules les couches atmosphériques supérieures sont directement observables, son équipe peut déduire, à partir de ces données fragmentaires, les réactions chimiques qui se déroulent dans les couches inférieures, jusqu'à la surface de l’exoplanète.

 

Chercher des réponses dans les nuages

La présence d’un tel brouillard organique solide joue aussi sur la météo. Le temps n'est probablement pas au beau fixe sur les exoterres, car les aérosols favorisent la condensation de la vapeur d'eau en gouttelettes. Cela crée des nuages, par le principe des noyaux de condensation. « Dans les nuages, les aérosols de matière organique se retrouvent piégés au cœur de gouttes d'eau liquide, un phénomène extrêmement intéressant du point de vue de la chimie prébiotique », ajoute Nathalie Carrasco.

Il y a donc de fortes chances de trouver dans ces nuages extraterrestres un foisonnement de réactions chimiques impliquant molécules gazeuses, eau liquide et aérosols solides, soit les trois états de la matière. Selon les scientifiques du LATMOS, les molécules complexes issues de ces interactions sédimentent et engendrent une diversité de réactions chimiques à la surface de l’exoplanète, jusqu'à, peut-être, donner naissance à un organisme vivant. « C'est peut-être notre chance d'observer en direct ce qui s'est déroulé sur la Terre juste avant l'apparition de la vie. »

 

Vers l'infini et au-delà

Grâce à une bourse ERC (European Research Council) Advanced Grant décrochée en 2022 pour le projet "OxyPlanets - Habitabilité des exo-terres dans diverses conditions d’oxydation atmosphérique", l’équipe de Nathalie Carrasco s'agrandit pour accompagner, au sein d'un consortium international, toutes les découvertes effectuées par les télescopes de nouvelle génération, tels que le JWST et le futur télescope européen ESA-ARIEL. « Le lancement du JWST a dynamisé la recherche émergente autour des exoplanètes », s'enthousiasme Nathalie Carrasco.  Avec son expertise unique en matière de reconstitution de la chimie atmosphérique, le LATMOS est au premier plan pour accompagner ces avancées sans précédent.

Contrairement à leur étude de Titan où seuls azote et méthane ont été introduits dans le dispositif expérimental, les scientifiques vont désormais modifier le mélange gazeux selon les premières observations fournies par le JWST. Ils et elles y ajouteront de nouveaux éléments, tels que le dioxyde de carbone (CO2), le monoxyde de carbone (CO) ou le dioxyde de soufre (SO2) pour obtenir des aérosols inédits. Ils et elles injecteront ensuite ces aérosols au sein d'un brouillard de gouttelettes d'eau, afin de reproduire la chimie des nuages des exoterres.

Les êtres humains n'iront probablement pas de sitôt se promener sur les exoplanètes, dont la plus proche est située à 40 000 milliards de kilomètres de la Terre. Mais comprendre à quoi ressemble l'environnement là-bas, au fond de l'espace, leur donnerait les clés de leur propre histoire, ici, sur Terre.

 

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