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François Sarfati : Au cœur des mécanismes de la vulnérabilité sociale

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 12 mai 2022 , mis à jour le 19 mai 2022

François Sarfati, professeur des universités au Centre Pierre Naville (CPN – Univ. Paris-Saclay, Univ. d’Évry) et directeur-adjoint de la Graduate School sociologie et science politique, est sociologue du travail et de l’emploi. Il a à cœur de développer les savoirs relatifs à la précarité, liée notamment aux réformes des institutions de la formation et du travail. 

François Sarfati effectue des études d’économie et de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qu’il poursuit au Conservatoire national des arts et métiers, où il soutient une thèse en 2005. Celle-ci porte sur l’étude des mécanismes de progression de l’incertitude sur les marchés du travail, du point de vue de celles et ceux qui en tirent parti. François Sarfati nomme ces derniers les “vainqueurs de l’incertitude“, ce qui constitue aussi le titre du livre qu’il publie ensuite aux Presses universitaires du Septentrion.  « À l’époque, la plupart des sociologues étudiaient le phénomène du point de vue de celles et ceux qui subissent des difficultés d’insertion, la précarité, des licenciements, mais très peu depuis celui de celles et ceux qui, au contraire s’en sortent bien. »

 

Le phénomène de « décrochage »

Recruté comme maître de conférences dans un département de sciences sociales en 2006, l’enseignant- chercheur y poursuit ses recherches en les orientant sur des questions de formation en particulier dans l’enseignement supérieur. Il interroge tout d’abord la question du “décrochage“ à l’université, avant de poursuivre ses interrogations sur les politiques dites de professionnalisation de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire sur l’ensemble de dispositifs qui vise à rapprocher les étudiantes et étudiants du marché du travail. « Grâce à un travail sur les publics en difficulté, et sur celles et ceux qui se préparent à l’université à rejoindre à des métiers socialement valorisés, on comprend mieux les logiques structurantes de transformation de l’enseignement supérieur. » Ce qui lui donne la possibilité de poursuivre ses recherches sur les politiques publiques. 

 

Méthodologie de déconstruction des représentations sociales

Dans toutes ses recherches, François Sarfati interroge la manière dont les décideurs et décideuses politiques se représentent les problèmes publics, pour mieux comprendre quels outils ils et elles décident d’utiliser pour y remédier. Pour ce faire, l’enseignant-chercheur pratique l’enquête de terrain auprès de tous les acteurs et actrices concernées par les actions mises en place : depuis les décideurs et décideuses politiques, en passant par les concepteurs et conceptrices de dispositifs d’action publique jusqu’aux personnes qui les mettent en œuvre et celles auxquelles ces dispositifs s’adressent. « L’analyse sociologique doit donner une compréhension de ce qui se passe d’un bout à l’autre de la chaîne, pour montrer comment les questions se posent, quelles sont les réponses formulées, et dans quelles mesures elles agissent sur les problèmes. »

 

Le Centre d'études de l'emploi et l’Université Paris-Saclay

En 2011, l’enseignant-chercheur est recruté au Centre d'études de l'emploi, un espace interdisciplinaire où il élargit et approfondit ses travaux sur les questions d’action publique, d’emploi et d’insertion. Et en 2018, il rejoint l’Université Paris-Saclay, au sein du Centre Pierre Naville. Il y étudie les problématiques liées aux contrats de travail, à la managérialisation du droit du travail et plus récemment le télétravail. Il continue à articuler les questions de travail, d’emploi et de formation.

 

La co-publication d’un livre : Gouverner par l’emploi

François Sarfati co-signe avec la sociologue Camille Dupuy le livre Gouverner par l’emploi. Une histoire de l’École 42, paru aux Presses universitaires de France en avril 2022. Il est le fruit d’enquêtes de terrain en France et en Europe au sein de l’École 42, une école formant aux métiers du numérique fondée par Xavier Niel. « Ce lieu, pensé et promu comme disruptif et différent, constitue en fait un miroir grossissant de ce que l’on observe dans l’enseignement supérieur. » Sur la base de leurs observations, l’auteur et l’autrice montrent comment les sociétés contemporaines sont gouvernées par l’emploi, « car on a tendance à évaluer toutes les décisions en matière d’économie ou de social au prisme de leurs capacités à rapprocher les individus de l’emploi. L’emploi est devenu un totem autour duquel la société s’organise ». Cette orientation se diffuse très largement dans le domaine de la formation. Car l’enseignement, qui a originellement pour vocation à diffuser des savoirs et de la culture générale, et à former des citoyennes et des citoyens, est désormais entièrement dédiée à rendre les individus capables de trouver un emploi et à tenir un poste. Les étudiantes et les étudiants sont sommés d’apprendre à accepter les emplois qu’on leur donne, et ce, quelles qu’en soient leurs conditions. « Au fond, on forme à l’adaptation, à l’ordre et à l’obéissance. » Qu’il s’agisse de stages non rémunérés, de bénévolat, de services civiques, ou encore plus récemment du contrat d’engagement jeune - qui vise à favoriser une entrée plus rapide dans l'emploi grâce à un accompagnement personnalisé – ces situations d’emploi sont toujours présentées comme une occasion de développer ses compétences, d’enrichir son CV, dans l’espoir d’obtenir un poste plus satisfaisant. « Mais en véhiculant l’idée que ces statuts valent mieux que rien et sont l’occasion de se préparer un avenir, on apprend surtout à celles et ceux qui les obtiennent à se passer de droits au chômage, à la retraite ou à l'assurance maladie. »

 

Un mouvement de fond : l’incertitude comme norme

François Sarfati attribue cette dérive à l’idée selon laquelle l’incertitude serait dorénavant une norme. Enchaîner des contrats courts, être en autoentreprise et n’avoir aucune visibilité sur ses clientes et clients, subir un plan social, etc. sont devenus monnaie courante. En outre, la persistance d’un chômage endémique depuis une quarantaine d’années place les employeurs et les employeuses dans une situation de rapport de force. « Ils et elles ont l’oreille des pouvoirs publics, auprès desquels ils et elles parviennent à négocier les évolutions du droit du travail pour les adapter à leurs besoins. » La rhétorique déployée pour y parvenir part du principe que si le système social est trop protecteur, il entrave l’activité et nuit in fine au recrutement de nouveaux travailleurs et travailleuses. « Au nom de l’emploi, la puissance publique accepte de se mettre au service du marché. » 

 

La direction adjointe de la Graduate School sociologie et science politique de l’Université Paris-Saclay

En 2020, François Sarfati devient directeur-adjoint de la Graduate School sociologie et science politique de l’Université Paris-Saclay. La nouvelle structure compte plus d’un millier d’étudiantes et étudiants, une centaine de chercheuses et chercheurs, 120 doctorantes et doctorants, issus de sept laboratoires de recherche de l’Université. Cet espace a pour objectif de fédérer des acteurs et actrices auparavant disséminées sur le campus, de promouvoir la transversalité et de favoriser la réalisation de travaux à l’échelle internationale. « La dimension internationale est passionnante. Cela donne les moyens de réaliser des enquêtes de terrain dans différents espaces, d’échanger avec des collègues à l’étranger, afin d’élaborer les outils conceptuels à même de rendre compte des mutations des sociétés contemporaines. »

 

François Sarfati