Aller au contenu principal

Bouleversements climatiques et environnementaux : les réponses des communautés non-occidentales aux signes d’extinction de l’humanité

Recherche Article publié le 30 septembre 2022 , mis à jour le 30 septembre 2022

Et si le devenir plus global de l’humanité à l’aune de la double crise environnementale et climatique annoncée pouvait être étudié par le prisme des perturbations subies par des communautés non-occidentales et de leurs réponses ? C’est l’ambition du projet PREFER (Deciphering the lay ethics of terminal risks : local terminal risks as proxies for existential risks), conduit par Jean-Paul Vanderlinden, du laboratoire Cultures, environnements, Arctique, représentations, climat (CEARC – Univ. Paris-Saclay, UVSQ)

Il est des évidences regrettables : beaucoup de communautés dans le monde sont sur le point de disparaître du fait des dérégulations environnementales et climatiques. Pour la majorité de ces communautés, le lien communautaire émane du partage d’une même terre. Or la surface des terres asséchées ou submergées par la mer ne cesse de croître, et les bouleversements, présents ou à venir, que cela implique pour ces communautés sont pour beaucoup irréversibles.

Avec le projet PREFER, lauréat d’une bourse ERC Advanced Grant 2021, Jean-Paul Vanderlinden, chercheur en études environnementales et en économie écologique au laboratoire CEARC, appelle à penser ces bouleversements dans leur radicalité. Il propose de les étudier à l’échelle de communautés choisies comme archétypales et de transposer les résultats de cette étude aux bouleversements subis à une échelle plus large, celle de l’humanité toute entière. On parle alors de risque existentiels : il s’agit d’effondrements d’écosystèmes vitaux, c’est-à-dire tout ce qui constitue l’existence d’un ensemble d’êtres vivants. Les crises environnementales ou climatiques sont ainsi des causes potentielles de bouleversements extrêmes, possiblement trop importants pour qu’il soit envisageable de s’adapter ou de rebondir. 

Le projet, qui démarre en octobre 2022 pour une durée de cinq ans, réunit des scientifiques du CEARC, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ) et d’universités locales, et divers partenaires locaux. À l’origine, le projet prévoyait six communautés d’étude : trois dans le delta du Mékong (Vietnam) et trois dans l’Arctique, dont une au Groenland et deux en Russie. Le conflit actuel en Ukraine empêchant l’accès aux communautés russes, deux nouvelles communautés situées en Colombie sont à présent planifiées.  

 

Dépasser l’injonction à la résilience

En amont du projet, le chercheur du CEARC a identifié pour ces travaux trois difficultés majeures. La première concerne le fait que le changement climatique ou environnemental entraîne souvent pour les communautés non-occidentales une injonction à s’adapter aux changements et à être résilientes. La résilience est la capacité, pour un individu ou un groupe, à faire face à un choc (qu’il soit social, économique, environnemental, pandémique, militaire…) et à s’en remettre. Cette résilience aux chocs est nécessaire pour la survie et la durabilité des communautés. Mais il est des contextes de changements où l’adaptation demandée est bien trop violente et la résilience n’est alors simplement pas possible. Dès lors, toute la question est de déterminer de quelle manière prendre de la distance vis-à-vis de cette injonction dans des contextes où elle n’est pas adaptée à certaines communautés. 

 

Mettre les connaissances locales au cœur de l’analyse

Cette première difficulté en entraîne une deuxième : celle de la mobilisation des connaissances locales. Afin de sortir des injonctions dominantes, il est nécessaire de mettre la parole des communautés au centre de l’analyse. Car le regard de l’enquêteur diffère de celui de l’enquêté ou enquêtée. Selon Jean-Paul Vanderlinden, le chercheur occidental possède une vision matérielle qui prédomine chez lui, alors que les communautés non-occidentales portent pour la plupart un regard hybride, matériel et non-matériel. Elles le revendiquent même et l’opposent à la matérialité occidentale supposée. Pour comprendre toute la mesure de l’expérience d’une communauté, il faut donc passer par leur regard.

 

Documenter les « petites fins de l’humanité »

C’est un fait : les bouleversements climatiques et environnementaux présents et futurs mettent en jeu la survie d’une grande quantité de communautés. Pour le chercheur du CEARC, cela constitue autant de « petites fins de l’humanité ». Réussir à documenter de telles situations constitue un vivier d’outils pour se préparer plus globalement aux chocs extrêmes à venir. 

Cette dernière difficulté est au cœur du projet PREFER. Les « risques terminaux locaux » représentent des risques très importants voire irréversibles pour la survie d’une communauté. Leur étude aide à comprendre les mécanismes à l’œuvre si un choc extrême se réalise ailleurs ou à une échelle globale : le projet PREFER s’intéresse spécifiquement aux risques d’effondrement des écosystèmes vitaux.

 

Le poids des récits

La méthode employée par le projet PREFER repose sur le triptyque Entretien - Observation - Recherche/Action. Elle est d’ailleurs constitutive des activités du CEARC. L’enjeu est de collecter les récits des individus, d’écouter leurs histoires. L’observation des pratiques des communautés vient ensuite compléter ces entretiens, car les « petites fins de l’humanité » ne sont jamais les mêmes en fonction du contexte. Aussi, la recherche ne se détache jamais de la nécessité d’apporter des solutions aux communautés. Une réponse doit leur être proposée, en collaboration avec elles. 

Partant d’une collecte de récits individuels, les chercheurs et chercheuses organiseront des entretiens groupés afin d’obtenir des récits collectifs. Une des ambitions du projet est aussi d’aboutir à des productions artistiques, à l’image du documentaire Voices from Uummannaq réalisé à partir de récits recueillis par les scientifiques du CEARC lors de précédents travaux. Mêlant images et monologues, il met en avant les pratiques, les volontés, les peurs et les doutes des habitantes et habitants de cette île du Groenland. « Ce sont dans les récits que réside la force des gens. Au cœur de ce qui fait l’avenir d’une communauté, il y a des récits », conclut Jean-Paul Vanderlinden.

 

Références :